Quand les livres tiennent salon au Palais
Compte-rendu du Salon "Livres aux Jardins"
2ème édition, samedi 2 décembre 2023
Dans un Palais de l’Agriculture joliment décoré pour l’occasion, s’est tenue, samedi 2 décembre 2023, la deuxième édition du salon « Livres aux Jardins », sous le parrainage de Jean Mus. Cette année encore, Michèle Garnier, Aude de Chivré et l’ensemble du comité d’organisation ont su concocter un programme riche et séduisant, réunissant, autour des thématiques de l’eau et du parfum, des intervenants de qualité, venus présenter leurs ouvrages et parler, avec simplicité mais passion, de leur expertise dans ces domaines. Avec quelque 340 visiteurs, la journée a été un franc succès.
L’eau, devenue rare et précieuse, a fait l’objet de la première table ronde animée par Jean Mus. Adapter le jardin à son absence, s’entourer de végétaux sobres et résistants sont maintenant des principes de base de la production horticole et de la création, voire une mode : « jardiner sans arrosage est même devenu tendance » se réjouit le paysagiste James Basson. Plus généralement, le plaidoyer en faveur d’une agriculture respectueuse des ressources et de la biodiversité, adaptée aux contraintes climatiques a été défendu par tous et en toutes circonstances, du jardin d’ornement au potager, en passant par les cultures plus spécifiques comme celle des aromatiques ou des médicinales et, pour ce faire , la nécessité de « comprendre la subtilité du végétal » de façon à « respecter l’équilibre et l’intelligence des plantes », comme l’a formulé Michelle Cavalier, elle-même productrice de plantes à parfum à Grasse.
Le parfum en pleine lumière
Le parfum, justement, était en vedette lors de cette journée grâce à la présence de Jean-Claude Ellena, grassois, ancien nez de la maison Hermès, qui nous a ouvert les portes de cet univers mystérieux et par là-même fascinant. Éphémère, subtil et évanescent, le parfum a une puissance d’évocation inouïe, car il s’adresse au sens olfactif, le premier à se développer dans le fœtus, bien avant le toucher ou la vue.
Comme dans tout travail de création, deux aspects sont ressortis des propos de notre invité sur son métier : le volet technique avec l’importance de la chimie et la nécessaire maîtrise des odeurs et de leurs propriétés – un nez travaille en moyenne avec 1200 essences qu’il doit mémoriser – et l’aspect inventif : savoir associer, doser, trouver la touche originale qui va éveiller les sens, enflammer l’imagination et raconter une histoire.
Même si, de nos jours, le naturel a la cote au point de reléguer d’emblée les produits de synthèse au rayon des indésirables, la parfumerie moderne doit beaucoup à la chimie. En effet, la science a multiplié par cent le nombre des matériaux à disposition du créateur, accroissant d’autant le nombre des combinaisons possibles, comme l’a souligné Xavier Fernandez, chimiste, professeur à l’Université de Nice ; d’où la part prépondérante que ces produits prennent dans l’élaboration d’un parfum. Jean-Claude Ellena, quant à lui, se distingue par un style volontairement minimaliste et épuré – il se contente de 20 à 30 ingrédients à chaque fois -, mais d’autres parfumeurs peuvent proposer des formules beaucoup plus complexes mariant des centaines de composants.
L’aspect artistique tient autant à la personnalité de l’homme qu’à ses aptitudes. Jean-Claude Ellena aime à rappeler son parcours largement autodidacte : « mauvais élève », il trouve, dans ses premières années en tant qu’ouvrier chez Chiris à Grasse, l’univers dans lequel il « se sent » bien et où il se fait vite remarquer par sa capacité à identifier précisément l’alambic dans lequel a été distillé tel ou tel extrait de jasmin. La voie est tracée : il se consacrera à la magie des fragrances, lesquelles s’expriment pour lui à travers un vocabulaire imagé et une syntaxe qui vont lui permettre, à l’instar d’un écrivain tel Jean Giono qu’il affectionne tout particulièrement, de décrire des univers, des ambiances et conter des histoires. Ainsi peut-on l‘entendre évoquer des odeurs « molles », « horizontales » ou « verticales », toute une palette d’associations surprenantes, synesthésies saisissantes servant l’écriture d’un poème unique, au titre évocateur : « Heaven can wait », « Cuir d’Ange », « Le jardin sur le Toit » …
Autant de succès dont l’élaboration tient à l’audace du créateur, sa curiosité et sa nature d’esthète, « celui qui a la faculté de sentir » selon l’étymologie grecque. Car ce dernier s’intéresse et s’inspire de l’ensemble de l’univers olfactif, qu’il soit celui du cuisinier et ou de l’œnologue. Il explique ainsi que la formule de « In Love again » s’est imposée à lui par les notes de fleurs de sureau d’un sancerre blanc qu’il aime déguster avec son épouse. Toute une éducation des sens que ce parfumeur d’exception a su transmettre à sa fille, Céline, qui poursuit la même carrière, même s’il aime souligner que ce métier est avant tout l’aboutissement d’un long et exigeant parcours, propre à décourager bien des vocations par trop timides.
Texte : Mireille BOURRAIN et Annie MILLER
Illustrations : Claude GIAUFFRET
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